Ceux qui nous lient


Maria Thereza Alves, Frédéric Bruly-Bouabré, John Giorno, Laura Henno, Javiera Hiault-Echeverria, William Kentridge, Pierre Labat, Nina Laisné, Cristina Mejías, Enrique Ramírez, Leila Sadel, Ablaye Thiossane
Rencontre avec Ana Maria Gomes autour de son film



Exposition
27 mai > 25 septembre 2018 — Les arts au mur artothèque, Pessac

Commissariat : Émilie Flory & Les arts au mur


Hermès est nomade, vagabond, toujours à courir le monde ; il passe sans arrêt d’un lieu à un autre, se riant des frontières, des clôtures, des portes, qu’il franchit par jeu, à sa guise.1


Il y a des sentiments qui sont intrinsèquement forts et qui nous bouleversent. Une révolte dans ce qui se passe sur la planète, une réaction épidermique à la façon dont on maltraite L’Autre, à ne plus savoir comment regarder ce que l’on nous montre et qui paraît inconcevable. Souvent considérées comme une menace, les migrations ont existé de tous temps. Nos civilisations s’enrichissent des échanges et des influences nés de ces mouvements. L’art et la culture sont des éléments fondamentaux de toute société. Comment les partager et les transmettre, entre les individus et les générations ?
Ceux qui nous lient explore la possibilité d’un monde construit autour des valeurs de transmission, d’altérité, de liberté et de créativité.

À travers des œuvres de la collection de l’artothèque mises en dialogue avec celles d’artistes invités, l’exposition souligne de façon poétique ou frontale, avec esprit et subtilité la richesse de ce qui constitue l’humanité. Nous nous développons tous grâce à ce qui nous entoure, nous apprenons des autres, reproduisons des habitus, guidés par nos familles proches et éloignées, par des ancêtres, des amis, par ceux qui nous lient. De l’universalité d’un geste dessiné — que l’on retrouve dans la proposition murale de Javiera Hiault-Echeverria, dans les vidéos et la performance de Cristina Mejías, dans le “carnet” de poésies de Frédéric Bruly-Bouabré et la lithographie de William Kentridge — en passant par les images fines que Leila Sadel révèle des traditions et des us marocains, jusqu’aux chansons traditionnelles offertes à Nina Laisné par les exilés piégés à Chypre ; l’exposition déploie les dialogues et les correspondances, traverse les siècles et les continents, danse d’un art à l’autre.

Il y a ce que l’on fait sien : les coutumes, les recettes, les mots et le verbe. Il y a une façon de dire ou de ressentir une joie viscérale à l’évocation d’un lieu, d’une odeur ou à la vue d’un objet, d’un geste. Il y a ce que l’on partage : des dessins, des mélodies et des images comme une ode aux rites, aux croyances et aux échanges, une volonté de retranscrire l’oralité et le vécu et ce qu’ils ont de constituants pour nous et pour les autres.
L’artiste protéiforme Ablaye Thiossane a réalisé pendant des années une série de dessins qui détourne et interprète les affiches du cinéma américain, indien ou européen. L’artiste croise ainsi les cultures et propose une mixité non dénuée d’humour. Dans What is the Color of a German Rose?, Maria Thereza Alves, brasse elle aussi avec humour et ironie l’origine des fruits, légumes et fleurs que l’on trouve sur les marchés européens, tel un résumé du monde à la Perec. Cette « citoyenne itinérante », comme ils se sont auto-proclamés avec son compagnon Jimmie Durham, milite depuis longtemps pour la reconnaissance des peuples indigènes et appelle à la solidarité universelle. Cet engagement se retrouve aussi dans le film Missing Stories de Laura Henno. Il importe à l’artiste de vivre auprès de ceux qui deviendront ses personnages. Elle met en place un long processus d’échanges, d’apprivoisement mutuel, de moments de vie et de partage afin que les jeunes apatrides acceptent de jouer leur propre rôle devant la caméra.  La vie fantasmée se mêle alors au vécu et la vérité se glisse dans des détails, dans les regards et dans certains rapports aux autres.
Soi et l’autre, la bienveillance et l’incompréhension, l’intime et le culturel, c’est ce qu’éveille également à nos sens la pièce de Pierre Labat. Expatrié au Japon, l’artiste a réalisé sept dessins sur papier embossé qui disent le ressenti, la peur, la différence ; des sentiments intimes écrits en braille suite à la catastrophe de Fukushima, qui restent ici doublement inaccessibles puisque protégés d’une vitre.

Pour être soi, il faut se projeter vers ce qui est étranger, se prolonger dans et par lui. (…)
On se connaît, on se construit par le contact, l’échange, le commerce avec l’autre. Entre les rives du même et de l’autre. L’Homme est un pont.
2
Les œuvres d’Enrique Ramírez créent des ponts entre les autres œuvres au sein de l’exposition. Toutes ont la mer comme élément constituant, elle est récurrente dans le travail de l’artiste. Porteuse de vie — son père était fabriquant de voiles et l’a emmené naviguer — elle est aussi celle par laquelle jaillit la mort, celle de nombreux opposants à la dictature de son pays, celle des déplacés d’aujourd’hui, des migrants qui y sombrent.

Américain, brésilienne, chilien, espagnole, français, française, franco-chilienne, franco-marocaine, franco-portugaise, ivoirien, sénégalais et sud-africain, les artistes de cette exposition évoquent, sans pathos et avec justesse, la joie et la fécondité de la différence. Ils construisent une halte, invitent au voyage et nous permettent de ne pas oublier que nous sommes tous des Hermès.

Dehors, il y a du vent, avec lui je voyagerai.
Je sais, un peu partout, tout le monde s’entretue, c’est pas gai, mais d’autres s’entrevivent, j’irai les retrouver.3

— Émilie Flory
Manosque, avril 2018


1 et 2. Jean-Pierre Vernant, La traversée des frontières, Éditions du Seuil, 2004.
3. Jacques Prévert, Sainte âme pavillon de neuro-théologie : Journal d’un malade. Paru dans un article de la revue Liberté, Volume 8, Numéro 1, Janvier- Février, 1966, p. 49–53. La chasse aux sorcières.

Exposition réalisée en partenariat avec la galerie Michel Rein (Paris/Bruxelles).


Sites des artistes
Marie Thereza Alves
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Nina Laisné
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  Vues d’exposition © Gaëlle Deleflie pour Les arts au mur
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