Fanny Maugey


Let Me Sleep All Night in Your Soul Kitchen









  Work in progress, 2020 © Fanny Maugey



Résidence et exposition de l’artiste au Centre hospitalier Vauclaire à Montpon-Ménestérol dans le cadre de Les résidences de l’art en Dordogne, porté par l’agence culturelle départementale Dordogne-Périgord.

Exposition du 19 septembre au 10 octobre 2020.




Site de l’artiste
Fanny Maugey
Malaxer, assembler, enfourner, façonner autant de gestes que Fanny Maugey affronte et maîtrise dans sa cuisine et dans son atelier. Il y a dans le travail de cette plâstissière, comme elle préfère se définir, une authentique générosité. Les protocoles et les échanges qu’elle met en place portent une sincère considération à autrui, et l’attention qu’elle prodigue aux autres se retrouve au cœur de sa création plastique et culinaire.

La résidence est l’endroit d’où éclosent l’émulation des rencontres et la sérendipité, cette faculté de trouver ce que l’on ne cherchait pas. Du jardin à la cuisine est une proposition pleine de promesses et d’imaginaires. La réalité des établissements hospitaliers est parfois autre, parce que l’organisation ne peut plus être individuelle, pour le bien du plus grand nombre. Ainsi arrive en cuisine l’impossibilité d’utiliser d’autres conditionnements alimentaires que des milliers de barquettes en plastique. De cette découverte, qui aurait pu être une déconvenue, Fanny Maugey a tiré plusieurs axes de travail comme la question de la conservation. Conserver c’est ralentir le processus de mort. S’y essayer pour le moins. Activer une pente inverse.
Par le sucre, conservateur ancestral, l’artiste commence un ensemble d’œuvres avec les végétaux qu’elle trouve dans le parc. Un corpus qui mêlent tubes de verre et herbier éphémère. Avec ces pièces, l’artiste propose une poétique de la mort dans ce qu’elle a de fascinant et d’immuable : formes rassurantes et douces, plantes au destin tranché comme leurs tiges mais qui revêtent un manteau d’éternité.

Le temps, évidemment, traverse ce travail. Notion vaste et élémentaire qui se charge d’une dimension particulière au sein d’un établissement de santé comme la chartreuse. Guérir, mourir, s’ennuyer, se battre, espérer, partir. Les attitudes divergent, la temporalité des émotions aussi. Écouter, rire, échanger, s’isoler, tenir. L’artiste propose un espace où il est possible de se « pauser ». La causeuse est un fauteuil double conçu sur le principe du confident, siège typique du Second Empire. Aussi appelé conversation, il était au cœur des boudoirs porteur de secrets et de confessions. Associée à une nouvelle pièce sonore, l’installation accueille le spectateur. Les mots et les voix anonymes évoquent les corps, leur rapport au monde et au temps.

La résidence demeure un vecteur d’interactions, de mélanges et d’humanités. En cela, les liens que l’artiste tisse au gré des semaines à Vauclaire influencent le travail. Le lieu, chargé d’une histoire dense, inspire beaucoup, effraie parfois… Le rêve et le merveilleux peuvent y apparaître, comme un songe romantique ou un cabinet de curiosités, pour peu que l’on accepte de regarder les œuvres et leur environnement d’un même œil. Celui de la magie.
La nature submerge certains espaces, recouvre les vitres des anciennes serres. L’artiste y présentera ses pièces telles Les recettes confinées et les volumes en terre. Elle proposera également une dégustation de miels et d’eaux florales réalisés sur place.

Parmi les œuvres en cours, les feuilles de papier, référence au travail des anciens patients psychiatriques1, sont fabriquées par l’artiste qui associe à la pâte des poudres de légumes et d’herbes du jardin officinal. Il y a aussi une série



d’images constituées de photographies et d’aplats de couleurs (prélèvements de la palette naturelle du site) dont elle expérimente l’impression sur des supports fluides, comme le tissage. Mousses et lichens, oxydations, rouilles photographiés sont d’autres traces du temps, une beauté que l’on ne voyait plus. Ces images renforcent subtilement le propos de l’artiste sur l’éphémère, comme une odeur fugace réveille la mémoire, comme la sensation d’une crème sur la langue reste inoubliable. Le merveilleux est toujours beau, n’importe quel merveilleux est beau, il n’y a même que le merveilleux qui soit beau.2

Marcher dans l’herbe, demander aux fleurs la permission de les croquer, en conserver ce goût d’immortalité, jouer avec des outils inutiles, observer la forme des tuiles, roches et ustensiles, et leur imaginer d’autres vies. Il y a dans la délicatesse de l’univers de Fanny Maugey le sentiment que tout peut basculer, comme sur une ligne de crête. Un recueil de plantes vénéneuses, mortelles ou médicinales. Des petits sablés délicieux ou empoisonnés. La grâce mélancolique des fleurs figées. Jamais tristes ou morbides, ni enfermées dans un medium, les œuvres de Fanny Maugey portent en elles une ambigüité sous-jacente. Subtil, éphémère lui aussi, ce sentiment qui nous traverse comme si tout cela pouvait n’être qu’une illusion douce, à la manière de la caverne de Platon, dans la cuisine de nos âmes3. Il est des mystères que l'on peut à peine imaginer, et que l'on ne résoudra qu'en partie.4

— Émilie Flory
Paris, août 2020


1. Après la Première guerre mondiale, les bâtiments de la chartreuse de Montpon-Ménestérol sont transformés en hôpital militaire puis en établissement spécialisé dans les troubles psychiatriques. À un moment de son histoire, les patients y travaillaient, notamment à la confection de fleurs en papier et de papier à lettres.
2. André Breton, Manifeste du surréalisme, 1924
3. Référence à The Doors, Soul Kitchen, 1967 (le titre du texte est également un vers de cette chanson écrite par Jim Morrison)
4. Abraham Stoker (dit Bram), Dracula, 1897

︎
HOME

Terms of Use
Made possible by the generous support of all the artists and partners  
Please respect the copyrights of all art & graphic works, texts and images on this website.

 
/// THANKS xoxo ///