Florence Louise Petetin


Je suis peintre



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    Florence Louise Petetin,  Vues de l’atelier © l’artiste





Texte rédigé à l’occasion de l’exposition Un jardin dans la forêt de l’artiste au centre d’art de Chatellerault


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Florence Louise Petetin

Je suis peintre. Il s’entend le point dans cette allégation de Florence Louise Petetin, ferme et solide. L’artiste me surprend lorsqu’elle me dit cette phrase. Elle renvoie aux luttes et à l’indispensable, au désir stable de peindre et qui envahit tout.
Par le passé, elle a exprimé son art dans l’extrême, mue par ce besoin irrépressible de création qui se retrouve chez de nombreux artistes. Peindre comme si la vie en dépendait. Peindre tout le temps, quitte à oublier les autres, ceux qui comptent, que l’on aime inconditionnellement et par-dessus tout mais peindre quand même, n’importe où et sans cesse ; vite, fort, crûment dans les sujets et dans le geste. Peindre sur tout, papiers, toiles, étagères, bois de récupération, meubles démembrés, objets. Peindre pour ne pas se perdre.
Je suis peintre. Point.
Une définition de soi à affirmer, à crier comme un écho aux mots et positionnements de ses atypiques aïeules Berthe Morisot, Séraphine de Senlis, Emma Kunz, Irma Stern, Georgia O’Keeffe, Leonora Carrington, Shirley Jaffe, Joan Mitchell, femmes, peintres, coloristes, mères parfois…
Peindre en dépit de tout et de tous. Être, travailler, créer.
La création ne peut pas commencer puis continuer. Elle ne peut être placée à un point du passé comme une chose qui s’est une fois accomplie. Elle s’accomplit tout le temps, c’est-à-dire dans tout l’espace du temps. Elle ne peut avoir ni passé, ni futur, elle est ; et sa seule raison est d’être. Elle anime, c’est-à-dire elle donne à la matière un appétit de forme. 1

Depuis une quinzaine d’années, un changement est notable dans la pratique de Florence Louise Petetin.  Elle s’éloigne des métropoles sans s’isoler, se recueille sans cesser de travailler. L’artiste se rapproche des sujets paysagers. Elle assume ses références historiques à l’art et aux maîtres du genre, romantiques ou flamands2. Avec ces séries, elle revendique et s’amuse d’une lumière chimique. Jaunes, oranges, roses sont brasillants. Le fluo des pigments investit l’œuf de la tempera, se propage dans la détrempe ou dans l’huile.
La peintre ne s’enferme pas dans une posture d’idéalisation de la nature, de la végétation exotique3 ni de revendication écologique par une retour galvaudé au traditionnel, aux teintures naturelles et aux décoctions. Elle ne s’interdit rien ; embrasse la totalité des possibles et use de ce qui est adapté aux propos.

La verticalité des petits formats sur bois rappelle aussi bien les retables, les icônes que leur source première : les photographies et leur cadrage ultra contemporain induit par l’écran téléphonique. Les couleurs et les transparences investissent le mur. Le nombre et la vision de l’ensemble retracent les déplacements de l’artiste, ses glissements d’intérêts. L’attrait nouveau pour les points lumineux, les trouées, les reflets à travers le pare-brise se révèle. La campagne s’impose, puis la forêt et l’abandon des lumières sourdes, sombres et violentes.
Comme beaucoup de peintres, Florence Louise Petetin travaille au plus près du motif mais elle le détourne, le trouble par l’utilisation de l’enregistrement photographique dont elle s’inspire pour composer. Elle recompose ensuite ses peintures à l’atelier, parfois pendant plusieurs jours, plusieurs semaines.



Nature, forêt, végétation sont des thèmes inaltérables de l’histoire de l’art, ils semblent inépuisables. L’artiste se positionne à rebours du sujet « paysage » ; peintures, dessins, gravures se dépeuplent petit à petit.
Elle parcourt les sentes forestières, suit les lueurs et les couleurs. Elle s’immerge et nous immerge.
Ici, arbres, fleurs, jardins chassent l’horizon et s’épanouissent sur l’aire des toiles libérées de leurs châssis. Un apaisement évident traverse le travail et les recherches récents, peut-être aussi l’acceptation d’une lenteur d’exécution nouvelle. Elle s’autorise, y compris à aller dans la limite physique du corps face à la vaste taille des papiers et des toiles.

Respirer, marcher. Faire l’expérience esthétique de la nature et la peindre pour elle-même. Florence Louise Petetin est une artiste médiumnique au sens où l’énonçait Marcel Duchamp. Elle ne suit pas les règles, travaille instinctivement, écoute ses chemins « toutes ses décisions [de l’artiste] dans l’exécution artistique de l’œuvre restent dans le domaine de l’intuition(…). »4
L’intuition est une liberté.

Dans l’exposition se décèle la liaison complexe entre l’homme et la nature, l’artiste avec son intention, l’humain penseur avide de sens confronté à l’étrange énigme de la beauté du monde et le spectateur devant les œuvres, comme une promesse d’universalité.
Un jardin dans la Forêt est une exposition foisonnante, généreuse, elle remet l’homme à son échelle face à la luxuriance du monde. Le visiteur entre dans le paysage qui l’encercle, dans les lumières et les camaïeux de gris, verts, bruns, violines, carmins, dans les lignes des routes, sentiers, racines et feuillages. Le monde est beau, et hors de lui point de salut.5
Les œuvres de Florence Louise Petetin enveloppent, enserrent, environnent. La peintre ne laisse plus le choix de la contemplation, au cœur de cette nature et la nécessaire modestie qu’elle nous impose.

Émilie Flory
Paris, mars 2024


1. Jean Giono, Traversée sensuelle de l’astronomie, 1938
2. Référence aux séries de l’artiste Nouveaux paysages romantiques(2016-2017), D’Après Le Tintoret et D’Après Constable
3. Référence aux œuvres que l’artiste a réalisées en Inde en 2009
4. Marcel Duchamp, Le processus créatif, 1957
5. Albert Camus, Noces, 1937
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