Gema Polanco


Réparer les dommages, mettre au monde les étoiles



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  Gema Polanco, Trust Your Gut, 2025 © l’artiste courtesy galería MPA, Madrid.


   Gema Polanco, vue de l’atelier, novembre 2025 © l’artiste



    Gema Polanco, Cuidando el Sentimiento, 2022 © l’artiste courtesy galería MPA, Madrid.


    Gema Polanco, I’ve Got You (gauche), Finally Here (droite), 2025 © l’artiste courtesy galería MPA, Madrid.


        Gema Polanco, I Decided To Take Care of Myself, 2025 © l’artiste courtesy galería MPA, Madrid.


Ce texte accompagne l’exposition personnelle de l’artiste Amor mira como vivo à la galería MPA - Moisés Pérez Albéniz à Madrid en novembre 2025


Sites de l’artiste et de la galerie
Gema Polanco
Galería MPA - Moisés Pérez Albéniz 
My my, hey hey
Rock and roll is here to stay
It's better to burn out than to fade away1

My, my, hey, hey, la musique et la mémoire sont aussi des tisseuses d’histoires. 22022022, est le jour où j’ai rencontré Gema Polanco. BOOM. Rouge franc flamboyant et bleu incorruptible. Textile, dessin, corps, poésie, flamme, vulve, mot, larme et la silhouette de Nick Cave, tout ce vivant-là peuplait son atelier madrilène. Depuis, il suffit que mon œil croise ce rouge, ce bleu, une étoffe et j’y retourne immédiatement, avec en fond, une mélodie, une posture. C’est comme reconnaître une note dans une partition avant même de se rappeler le morceau.
L’artiste plurielle déploie son œuvre aussi bien dans les réalisations plastiques que dans les vêtements, l’écriture et la conception d’expositions — comment ne pas penser à celle dédiée il y a quelques années au groupe The National, et par ricochet à la performance de Ragnar Kjartansson2. L’épuisement du corps, la répétition, les signes précis tracent le travail ; j’aime entrer dans cette exposition Amor mira como vivo par la figure de l’alter ego. Présente depuis longtemps dans le travail, démultipliée dans les mediums, répétée dans ses représentations, épuisée dans les émotions ; à la fois idéal de soi-même et cathartique, suprématie et aliénation, l’alter ego, la demi-souveraine tatouée d’écailles, nous confronte. Gema Polanco interroge l’autre comme reflet à la fois juste et trompeur, exploration d’identités multiples et fragmentées, possibilité d’un autre monde. L’alter ego héritière des douleurs, des transitions, des trahisons, des espoirs, des changements et des guérisons.

Fil à broder comme fil de parole, cinquante ans après Ma collection de proverbes d’Annette Messager, anthologie brodée des phrases misogynes constituantes des sociétés, Gema Polanco pose des slogans (punk), tantôt aphorismes, poèmes, incantations, mélodies et sortilèges de réconfort. Mais là où le travail révèle, évoque la phallocratie et la place des femmes et du féminin, Messager se tient toujours à bonne distance, alors que d’autres — de Louise Bourgeois à Nan Goldin en passant par Tracey Emin — s’inspirent de leur vie, de leurs émotions personnelles, de leur sphère intime. Gema Polanco est de cette lignée qui démontre qu’une œuvre introspective et autobiographique peut aussi être la plus universelle. Et même si elle coud et brode comme Burroughs et Bowie faisaient du cut-up, elle accepte aussi de plonger, ne se cache pas, assume d’être exposée. L’artiste porte cette position stable de confronter les doutes, les difficultés et les émotions, de parler des faiblesses et des chagrins autant que de la beauté. Les mots, le fil comme encre et la puissance féminine revendique que vulnérabilité n’est pas fragilité. ¿Entiendes ?
Confía Tía!3

J’aime lire et regarder le travail de l’artiste par ce prisme, j’y associe naturellement la pensée de Nietzsche. Comme pour nous, ce qui ne tue pas Gema Polanco la rend plus forte4, c’est bien cette évidence que je perçois dans le dialogue ici des œuvres entre elles : celle de la transvaluation des valeurs et la création de soi. Les aquarelles, le mobile, la tapisserie et les talismans célèbrent la vie, la puissance, la capacité de se réinventer, la volonté de dominer ses propres limites ; réinterpréter les souffrances et en sortir plus lucide, plus vivante. La vie est un devenir. Gema Polanco met au monde une étoile dansante, rien n’est plus vrai que cette réflexion nietzschéenne sur la création que lorsque je regarde son travail, son cheminement. Alors, en effet Il faut encore avoir le chaos en soi pour mettre au monde une étoile dansante5, et c’est ce qu’embrassent les dernières œuvres de l’artiste, d’une tapisserie monumentale à une vingtaine de collages, petites cartes porte-bonheur, oracle bienveillant.

J’ai toujours été fascinée par l’aiguille, le pouvoir magique de l’aiguille. L’aiguille est utilisée pour réparer les dommages. C’est une demande de pardon. Elle n’est jamais agressive, ce n’est pas une épingle.6 L’aiguille comme réconciliation, avec soi, son corps, le monde, les sentiments et les passions, les autres, ceux qui entourent, aiment, trahissent. Filage, couture, tissage, broderie sont constitutifs du travail de Gema Polanco. Comme chez Louise Bourgeois, ici l’aiguille sert de vecteur de guérison, les points comme des sutures.
Immédiatement reconnaissable par ce bleu, ce rouge, longtemps bipolaire, la palette s’ouvre. Le rouge rosit subtilement, le bleu se dilue, jaune et or viennent en contrepoint. Du sacré, des gouttes, du sang et des larmes inversées, le plaisir, l’orgasme, la botanique, Rona, une hirondelle, une main sur un cheval, un inventaire à la Prévert7 se dissimule dans les ailes-flammes de l’alter ego pour ceux qui le discernent.





Dans l’exposition se retrouvent les marqueurs du travail de l’artiste, multiplicité des techniques pour une même symphonie. Les œuvres portent les gestes ancestraux, la tradition sororale. L’artiste travaille le passage derrière le rideau, donne à voir l’envers des cartes et les possibilités offertes. Elle convoque des figures de la culture populaire, de la mode, des références artistiques et de son album personnel. Comme la figure iconique de sa mère, reprise et traitée comme un symbole, fleur d’hibiscus dans les cheveux. Même la couleur infuse, et de la larme naissent les fleurs.

Et il me plaît pour finir ma visite, tel un rituel, de lire le titre des œuvres à la suite ; parce qu’ainsi lus ils deviennent haïkus. Tout comme je ne peux m’empêcher d’associer — dans ma lecture du travail de Gema Polanco — des pratiques populaires, des émulations créatives, des révoltes. À l’image des collectifs de collage ou de performance qui laissent sur les murs des messages féministes ; ou celle des jeunes rockeurs et punks, lorsqu’ils cousent, brodent, agrémentent leurs vêtements de patchs, images iconiques ou logotypes. Elles et ils façonnent une esthétique d’engagement et d’opposition, une façon de faire du politique. Gema aussi.
Je pense à Polly Jean, je pense à Marianne, je pense à Laurie et Miriam, je pense à Nico, Lucinda, Will, Sylvia et Leonora, je pense à María Eugenia et Andrea8 — qui nous ont présentées. Étrange comment se tissent les histoires, se forment les mémoires et demeurent les images…


There's more to the picture than meets the eye
Hey hey, my my
Rock and roll can never die
Hey hey, my my
Rock and roll can never die9

Émilie Flory
Paris, novembre 2025.

1. & 9. Vers de Neil Young, extraits de la chanson Hey Hey, My My sur l’album Rust Never Sleeps de Neil Young and Crazy Horse, 1979, Reprise Records. Hey Hey, My My (Out of the Blue) en version acoustique et Hey Hey, My My (Into the Black) en version électrique.
2. Ragnar Kjartansson, The National :A lot of Sorrow, 2013. Performance filmée lors de laquelle l’artiste a demandé au groupe de jouer leur chanson Sorrow en boucle, pendant six heures.
3. Référence à une œuvre de l’artiste.
4. Friedrich Nietzsche, « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort », chapitre Maximes et pointes (aphorisme 8) dans Le crépuscule des idoles, 1889.
5. Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1883-1885.
6. Louise Bourgeois, Destruction of the Father, Reconstruction of the Father: Writings and Interviews, 1923–1997, édité par Marie-Laure Bernadac et Hans-Ulrich Obrist, 1998.
7. L’expression « un inventaire à la Prévert » fait référence à un style d’énumération qui semble hétéroclite inspiré de l’œuvre du poète Jacques Prévert (1900–1977). Derrière l’apparente disparité, se cachent souvent une ironie, une mélancolie ou une dénonciation, poétique, ludique, souvent surréaliste.
8. Référence aux musiciennes, plasticiennes, poètesses : PJ Harvey, Marianne Faithfull, Laurie Charles, Miriam Schapiro, Nico, Lucinda Williams, Sylvia Plath, Leonora Carrington et Will Oldham (Bonnie « Prince » Billy) ainsi que María Eugenia Álvarez de Open Studio Madrid et Andrea Pacheco de Felipamanuela.
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