Le facteur sonne toujours deux fois
Eric Rondepierre
Exposition
9 octobre 2015 > 16 janvier 2016 — Centre d’art contemporain image/imatge, Orthez
Commissariat : Eric Rondepierre et Émilie Flory
C’est en 2012 qu’Eric Rondepierre et moi décidâmes ensemble de penser une exposition pour le centre d’art image/imatge. Invité au premier trimestre 2015 par la MEP et la MABA - Maison d’art Bernard-Anthonioz, il était naturel pour nous qu’un troisième volet monographique puisse se construire cette même année dans le Sud Ouest.
C’est avec Éric Cez des Éditions LOCO que nous avons également acté la coproduction du livre Images secondes, sorti le 23 janvier 2015, qui reprend l’ensemble des œuvres des 3 projets.
À l’occasion de l’exposition, Eric a invité Muriel Berthou-Crestey pour une intervention. Le texte qu’elle a écrit fait partie intégrante de l’exposition au même titre que ses images.
— Émilie Flory
Le facteur sonne toujours deux fois
Le thème du double est une clé qui permet de pénétrer dans l’œuvre photographique d’Éric Rondepierre et fait apparaître la cohésion d’un parcours élaboré de 1990 à nos jours. Il a d’abord puisé dans les vertus du magnétoscope puis s’est emparé des nouvelles possibilités offertes par la réalité augmentée. Le centre d’art image/imatge accueille ces couples à la fois unis (physiquement, lorsqu’ils s’enlacent) et divisés (plastiquement, lorsqu’ils disparaissent dans l’entre-deux des images). Les vivants et les morts appartiennent désormais à la même dimension. Éric Rondepierre parle de l’union en montrant la séparation et vice versa.
Le photographe fait d’une pierre deux coups. Il coupe, cadre, découpe, produit des décadrages. Il joue sur les intervalles et laisse le temps faire son œuvre. Ses compositions entremêlent une action en noir et blanc d’un temps révolu au présent d’une image en couleurs. Dans la série Seuils, il intègre une scène cinématographique à une photographie capturée dans son quotidien. Des études neurologiques ont démontré que lorsqu’une image différente est présentée à chaque œil, cela aboutit à une synthèse optique qui donne l’illusion du relief. Pour Le deuxième Œil, il superpose deux visages dont les regards se confondent sur un même emplacement. On peut voir l’un ou l’autre. Cependant, chacun subit une métamorphose induite par cette cohabitation photographique. Les correspondances formelles se doublent parfois de confusions identitaires : un jour, Éric Rondepierre commande sur Internet un livre de Sloterdijk qui aborde la naissance de la psychanalyse en 1785, intitulé L’Arbre magique. Contre toute attente, il reçoit un autre roman d’amour de Sarah Orwig portant un titre éponyme, paru dans la collection Passions... Ses œuvres sont parcourues d’effets représentant simultanément le dos et la face d’êtres ayant traversés tant de miroirs ! C’est celui qui voit qui est vu... Des sosies, couples ou jumeaux habitent ses créations. Et parfois, c’est lui, à peine dissimulé derrière son appareil-photo, qui apparaît.
Longtemps l’artiste a ausculté les pellicules abandonnées dans les cinémathèques du monde entier ; il les a libérées des salles obscures pour observer minutieusement chaque photogramme en pleine lumière, à la loupe. Longtemps il a guetté la beauté induite par le passage du temps sur les films, après que leurs auteurs aient disparus : ainsi, la corrosion a maquillé progressivement les visages des amoureux, étourdis à jamais par le temps arrêté de l’étreinte. S’immisçant dans les interstices du cinéma et de la vie, de la photographie et de la mort, E. R. réinvente le diptyque en concevant des œuvres hallucinogènes.. Quelquefois, il semble avoir pris la place du doubleur qui réaliserait son rêve en détournant le jeu de l’acteur qui, s’il dit « je veux ! » répond « Non ! »
Le travail d’Éric Rondepierre peut sembler sibyllin à l’homme pressé. Mais toujours, ses œuvres interrogent. Que ressentiriez-vous si une autre personne s’exprimait à travers votre bouche ou si votre corps se dédoublait ? Éric Rondepierre qui fut aussi un homme de théâtre, a déjà joué avec ces « expériences limites ». Il nous positionne aujourd’hui en situation d’observateur, à la lisière de ces états intermédiaires. Qualifié alternativement par les termes de « conceptuel » ou de « décoratif » par la critique, son travail est peut-être en définitive « paranormal » au sens où il parvient à troubler constamment notre perception et à concilier des binômes improbables. Le jour et la nuit paraissent simultanés. Libre à chacun d’imaginer l’intrigue. Il se réapproprie des contextes dont il change le cadre narratif. Pour cette exposition à Orthez, il a conservé la scénographie du précédent accrochage consacré à Roland Barthes, tel un coucou présageur invité à installer son univers dans le « ça a été » barthésien. Il place, rassemble, compile ; il déplace et cumule les strates du temps. R. B. cherchait l’image parfaite du couple dans la mythologie. Rondepierre lui donne l’anonymat pour en faire une allégorie recyclée de l’art.
Des tests d’optique affirment que si l’on mélange de façon aléatoire les lettres à l’intérieur d’un mot, la phrase reste lisible à condition de conserver la première et la dernière lettre. De mmêe, en mélnageant le cémina, la photorphagie et l’éctirure, Éirc Reprendroie a dénchelcé un pohémnène itidenque aevc ses igames.
— Muriel Berthou-Crestey
Site de l’artiste
Eric Rondepierre
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Vues de l’exposition : © Nina Laisné