Laura Henno & David De Beyter


Fleeing the Field








  Vues de l’exposition ©David De BeyterŒuvres : © Laura Henno et David De Beyter 



Exposition
8 juillet > 30 septembre 2017
Galerie Cédric Bacqueville, Lille


Commissariat :
Laura Henno & David De Beyter



Sites des artistes
Laura Henno
David De Beyter

Lire aussi
Far Above the World

Voir aussi
Nothing Else Matters
Faire flamboyer l’avenir


Un écran de fumée comme personnage narratif, un groupe qui devient communauté en marge, une générosité envers l’autre qui se traduit par un processus lent et long d’intérêt mutuel ; bien que cela puisse surprendre de prime abord, il y a — outre une amitié de longue date — nombre de points de convergence entre le travail de Laura Henno et celui de David De Beyter. Se confronter à une communauté sans tout à fait en faire partie et en être assez proche pour en connaître les richesses, les failles et la fragilité ténue qui unit parfois les êtres en quête d’infini, ce sont aussi ces similarités dans leur démarche qui créent un dialogue fort entre leurs œuvres.
Les Bangers sont des sportifs, des punks, amoureux de paysages et de voitures qu’ils usent jusqu’à la mort, en famille. Les jeunes migrants peuplent les paysages, s’ancrent temporairement sur un territoire hostile et en font un foyer — précaire et sauvage — qui aide à exister, pour un temps.
Les images de deux artistes trouvent à raconter une autre histoire et proposent un cheminement à travers ces groupes que De Beyter et Henno connaissent bien. Deux groupes qui ne pourraient se mêler sans la fiction d’une exposition et qui offrent ici un foisonnement de récits, de correspondances, de sentiments et d’émotions.

Laura Henno travaille depuis plusieurs années avec des adolescents à un moment charnière de leur vie ou qui traversent une période de reconstruction. Dans Fleeing the Field, elle propose des œuvres issues des séries Missing Stories et La cinquième îleconstruites avec les migrants qu’elle rencontre depuis plusieurs années à La Réunion, aux Comores, à Rome, Lille et Calais.
Il importe à l’artiste de vivre auprès de ceux qui deviendront personnages de ses images fixes et animées. Aussi, un long processus d’échanges, d’apprivoisement mutuel, de moments de vie et de partage est nécessaire avant que ces jeunes gens acceptent de jouer leur propre rôle. Souvent, la nécessité pesante de la survie leur impose de transformer la réalité, de modifier leur histoire pour entrer dans les critères d’accueil du pays dans lequel ils arrivent. Alors, la vie fantasmée se mêle au vécu et ce sont ces moments, ces chevauchements, ces superpositions que l’artiste a choisi de mettre en scène. Nous sommes loin du documentaire, la vérité importe peu. Elle se glisse dans les détails, dans des gestes inattendus, dans les regards et dans certains rapports aux autres. Le groupe est une forme de rémission, il est l’endroit des rires, des sursauts qui rendent la vie moins dure. Mais, il est aussi le lieu de la cristallisation, de la violence exacerbée, l’endroit où l’on questionne l’esprit de la famille, la famille du sang ou celle des compagnons qui partagent le même dessein, le même quotidien, les déceptions, les colères et les peurs. Il est le lieu où l’injustice est comprise mais où la pitié n’a plus de place.
Ce groupe est fascinant, photographier et filmer ces jeunes ensemble est une évolution naturelle dans l’œuvre de Laura Henno. L’artiste doit non seulement gagner la confiance — comme auparavant quand elle travaillait en tête à tête avec son modèle — mais construire avec eux des scènes dans lesquelles les membres ne font qu’un sans perdre la force de leur individualité. Le paysage joue alors un rôle encore plus important. Le choix du décor arrive souvent en amont dans le processus créatif de l’artiste, il accueille les acteurs, ponctue les portraits et embrasse les scènes.

Le paysage et la notion du décor sont également une présence forte chez David De Beyter, des premières séries comme Concrete Mirrors et Édifices jusqu’à Big Bangers.
C’est en effet dans le paysage que l’artiste a un jour découvert la pratique du Banger Racing. Ce  jour-là un pilote s’entraîne dans la campagne des Flandres, son véhicule hurle et dessine un énorme sillon dans le champ désert en tournant sur lui-même. Dès lors, David De Beyter s’intéresse de plus près à ce sport automobile venu d’Angleterre et plus particulièrement à ceux qui le pratiquent en amateur dans le nord de la France et en Belgique. Il s’immerge alors dans cette fratrie.




Les courses s’organisent de façon codifiée, chacun a son rôle. Deux sortes de pilotes, les « rodders » qui veulent gagner la course à tout prix et les « werckers » — les plus populaires —  qui conduisent pour détruire leurs véhicules. On fait tenir sa voiture le plus longtemps possible, tous les coups sont permis, excepté de percuter sciemment la portière du conducteur. À la fin il n’en reste qu’un et l’on procède à la destruction des dernières carcasses. Mais dans Big Bangers, il est également question de philosophie, de passions, de vies pas toujours brûlées, de musique lourde, d’archives et de sculptures. De ces éléments éclectiques, l’artiste extrait des fragments qu’il fait siens.
Les photographies sont construites comme des tableaux, dans la juste tradition des peintres du Nord qui subliment la lumière. L’artiste quitte sa zone de confort pour réaliser son premier film Just a good crash qui vient subtilement troubler la sérénité apparente des images fixes. Il ressort les fanzines issus de la pure veine punk et affiche leurs photos de crash, comme autant d’icônes éphémères. Il photographie en séquence la fin d’une voiture qui danse sur un chemin sous l’effet des bombes.
Immergé dans cette communauté, David De Beyter récupère aussi certains trophées. L’artiste fait sculpture d’un capot conservé dans un garage, d’une demi-voiture compressée, d’un morceau de tôle peint. Au mur ou au sol, ces œuvres en confrontation avec les images renvoient au tragique et apportent une autre lecture à l’ensemble. Les phrases qui ornent les voitures deviennent titres, les hommages aux pilotes comme emblème, sorte de haïkus underground.
Toutefois, à l’instar du groupe photographié par Laura Henno, l’individualité est peu visible dans le travail de De Beyter. Les Bangers — hommes, femmes et enfants — font un. Il s’agit d’une confrérie constituée autour d’un jeu dangereux, de ballets post-apocalyptiques, de sueurs, d’odeurs puissantes de cambouis et de métal opprimé. Une famille élargie qui se retrouve le temps des courses dans un chaos organisé et jouissif, dans une mélodie de moteurs qui aurait plu à John Cage.

Avec Fleeing the Field, Laura Henno et David De Beyter offrent un récit actanciel et révèlent l’importance de ce qui ne se voit pas. Les interstices entre leurs œuvres sont l’endroit où les fictions peuvent éclore. Des jeunes gens courent sur une plage dans la fumée, peut-être celle d’une voiture qui brûle à la verticale ; deux hommes se parlent à l’oreille non loin d’une carcasse de Mustang suspendue dans les airs telle une métaphore de leur liberté ; les traits trop tirés de deux enfants à travers une portière qui regardent un capot laqué abandonné, comme ils l’ont fait de leur chez-eux pour une vie meilleure ; autant de possibles histoires qui nous parlent et nous ramènent au monde.


— Émilie Flory
Manosque/Bruxelles, août 2017

︎
HOME

Terms of Use
Made possible by the generous support of all the artists and partners  
Please respect the copyrights of all art & graphic works, texts and images on this website.

 
/// THANKS xoxo ///